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Jean Christophe Portes
Les enquêtes de Victor Dauterive
«Victor Dauterive, un enquêteur sous la Révolution»

Entretien avec l'auteur

Comment est née l’idée de cette série ?

Tout a commencé par une première histoire mettant en scène Victor Dauterive. J’ai commencé à y travailler au début des années 2000, et je cherchais une période à la fois relativement moderne, et pas trop visitée par la fiction. J’ai commencé par choisir le Directoire, période tourmentée et peu connue s’il en est. Et puis peu à peu, une idée différente est née. Et si j’imaginais le parcours de Dauterive depuis ses débuts ? Pourquoi ne pas commencer le récit de ses débuts dans une carrière carrière d’enquêteur, dès 1789 ? Ensuite il pourrait traverser la Révolution, évoluer avec elle. Un jeune homme qui devient adulte en même temps que la France se métamorphose. Voilà donc comment tout est né.

Ce premier roman a-t-il été publié ?

En fait non ! J’ai mis beaucoup de temps à mettre en place un mécanisme de fiction efficace, presque 10 ans. J’ai écris plus d’une douzaine de versions de ce premier livre avant d’oser l’envoyer. Il a intéressé à un bref moment un grand éditeur, et j’ai reçu un appel de la personne qui dirige le service des manuscrits. Mais je pense que toutes ces versions successives en avaient fait un objet un peu hybride. Cet appel m’a donné un incroyable coup de fouet, mais finalement cet épisode n’a pas trouvé d’éditeur. J’ai alors écrit «L’affaire des corps sans tête» et cette fois la mécanique s’est installée tout naturellement.

Comment s’appelait ce livre ?

Pour l’instant le nom restera secret. L’épisode se déroulait en Belgique occupée, dans les années 1798-1799, et mettait en scène une terrible bande de « chauffeurs », des brigands qui torturaient les paysans pour leur arracher leur or. Les chauffeurs étaient liés d’une certaine manière à des magouilles financières de grands bourgeois de la région. Dauterive finissait pas résoudre l’affaire, après avoir manqué d’y laisser sa peau. Je ne sais pas si un jour cet opus sera publié, mais si c’est le cas, il sera profondément remanié. À ce moment j’étais dans des vieux mécanismes de fiction à la Hercule Poirot, avec le méchant caché — qui tue au fur et à mesure que l’enquête avance pour ne pas être découvert — et la grande confrontation finale. Je pense que je suis sorti de ce schéma que je trouve un peu vieillot avec « l’affaire des corps sans tête ».

Justement quel est le « mode d’écriture » de Dauterive ?

Quand j’ai écrit « l’affaire des corps sans tête » — au début d’ailleurs ça ne s’appelait pas comme ça — j’ai voulu un mécanisme de thriller. C’est-à-dire que le héros mène une enquête policière, mais qu’il est aussi menacé par un danger, que parfois le lecteur connait, que lui-même ne connait pas. C’est ce qui se passe par exemple dans « La mort au trousses », de Hitchcock, où le spectateur a toujours un temps d’avance sur Roger Thornhill [joué par Cary Grant], qui lui ne comprend pas tout ce qui lui arrive. Dans ce type d’histoire, le spectateur — enfin ici le lecteur — est aussi amené à suivre d’autres personnages que le personnage principal. Cette façon de croiser les histoires amène beaucoup de tension et je pense plus de suspens. Le héros est en danger et on en sait plus que lui. Je voulais vraiment éviter le polar ultra classique, avec un super détective qui est « dans tous les plans » comme on dit au cinéma, qui dénoue tout, tout seul ou alors avec l’intervention miraculeuse d’un « Deus ex machina ». Pour l’instant mes quelques lecteurs du cercle familial ou amical ont apprécié, et l’éditeur aussi…

Comment avez-vous trouvé un éditeur ?

J’ai fait comme tout le monde, j’ai envoyé des dizaines d’exemplaires reliés de mon ouvrage aux grands éditeurs. Ce qui m’a couté une petite fortune, et permis de recevoir tout autant de lettres de refus polies. Un jour, en allant dans un salon du livre à Levallois-Perret, je suis tombé sur le nom de cet éditeur, à savoir donc City éditions. J’ai envoyé un mail et Frédéric Thibaud m’a immédiatement répondu en me disant que le sujet l’intéressait. J’ai donc fais suivre le manuscrit par email, toujours, et il m’a téléphone 2 ou 3 jours plus tard en me disant qu’il voulait absolument me publier. Je dois avouer que je n’ai pas réfléchi très longtemps ! C’était au mois de mars de cette année et le livre sort en octobre 2015.

Pourquoi avoir choisi cette période de la révolution ?

Quand je tâtonnais pour écrire le premier livre, je me suis aperçu que la Révolution française était une période idéale. D’abord, c’est une période que tout le monde connait, même schématiquement. Tout le monde en France — et même bien au-delà de nos frontières — connait le sort de Louis XVI et de Marie-Antoinette. Tout le monde sait qui est Robespierre. C’est une période qui fascine encore beaucoup. Il faut savoir que les français sont malgré tout un peuple politique, et que le clivage gauche-droite date de cette période. Ce n’est pas du tout un hasard. Ensuite et paradoxalement, cette période est finalement assez méconnue. Il s’est passé tellement de choses, il y a eu tellement d’évènements inattendus, de revirements, de trahisons, qu’il est impossible au non-initié de tout connaître. Du coup il n’y a pas besoin de forcer le trait pour trouver une façon originale et surprenante de raconter la Révolution. La fiction reprend toujours les mêmes épisodes, la mort de Marie-Antoinette, la Terreur ou le drame de la Vendée, comme s’il ne s’était passé que ça pendant les 10 ans qu’a duré la Révolution ! La Révolution est un décor de rêve : tout le monde connait, mais il reste une foule de choses à découvrir. Pour celui qui comme moi cherche des histoires, c’est un vrai bonheur, on ne sait pas quoi choisir tellement c’est riche.

Comment imaginez vous vos histoires ?

Je les imagine toujours en partant d’une histoire policière parce que pour moi, Dauterive, c’est du roman policier. Donc, l’enquête n’est surtout pas un prétexte à découvrir la période. L’enquête est au centre du récit, ça c’est une règle. Mais étant passionné d’histoire, j’essaye d’intégrer la grande Histoire au récit policier. C’est le cas de « l’affaire des corps sans tête ». L’enquête policière est imbriquée à l’un des épisodes historiques les plus marquants de l’histoire de France — un épisode mondialement connu, et je pèse mes mots —. Je pense que ceux qui ont lu ou qui liront [le livre] seront d’accord avec moi. En même temps cet épisode historique ou politique, comme on veut, est totalement intégré au thriller. Ceci dit je ne suis pas sûr de toujours vouloir fonctionner de cette manière : j’imagine très bien — si les lecteurs me prêtent vie, ou plutôt prêtent vie à Dauterive — une enquête ou la grande histoire ne serait qu’une toile de fond.

Ce qui veut dire ?

Ce qui veut dire que si la série avance, j’aurais envie d’écrire des épisodes sans que Dauterive soit mêlé à un complot d’État ou à une affaire qui a changé le cours de la Révolution. J’ai plusieurs idées en tête, mais pour l’instant il est vraiment beaucoup trop tôt pour en dire plus.

Combien d’épisodes prévoyez-vous de publier ?

C’est la grande question ! Pour l’instant, il est impossible d’y répondre car cela dépendra de l’accueil du public. Je suis déjà en train d’écrire un deuxième volet, qui serait une sorte de suite de « l’affaire des corps sans tête ». Il faut savoir que le mois de juillet 1791 a été à la suite de Varennes un mois décisif dans la Révolution. Ensuite on verra ; je ne peux pas anticiper ce qui va se passer dans les librairies — et sur Internet —.

Est-ce que Dauterive a un modèle ?

Ce qui est sûr c’est qu’il n’a pas de contre modèle. Ce qui m’étonne encore maintenant, c’est qu’il a toujours eu le même caractère. En 2002 ou 2003, quand je l’ai décrit, il était déjà comme il est, physiquement ou au caractère. S’il avait une seule influence, ce serait Blueberry, le héros de bande-dessinée [personnage créé par Charlier et Giraud]. C’est peut-être étonnant mais c’est la vérité. Blueberry est comme lui issu de l’aristocratie, il est confronté à l’injustice et il bascule dans le camp adverse, il aime les femmes, il est naïf et idéaliste, il sait se bagarrer même s’il préfère utiliser la ruse que la force, et il est rebelle dans l’âme. Et comme lui il se fiche complètement de sa carrière. Finalement c’est un vulgaire plagiat de Blueberry ! En fait non car Dauterive ne boit pas tant que ça, et il n’aime absolument pas jouer aux cartes…  

Avez vous des rituels d’écriture ?

Non, c’est justement l’avantage dans cette activité. J’aurais du mal à écouter de la musique en écrivant, ça me perturberait plus qu’autre chose. Je n’écris pas non plus toute la nuit, car non seulement j’ai une famille mais aussi une activité la journée. Donc pour résumer j’écris un peu le matin, et le soir aussi, ce qui me donne 3 ou 4 heures utiles par jour, ce qui est déjà pas mal. Parfois je n’y arrive pas, mais ce qui est sûr, c’est que je ne suis pas un grand écrivain capable de pondre mon bouquin d’une seule traite, sans faire un plan et sans ratures. Ça me parait complètement surhumain et j’en suis incapable. Donc pour en venir à ma méthode, je commence d’abord à chercher un « pitch », comme on dit dans l’audiovisuel. Désolé si ce n’est pas très littéraire, mais c’est comme ça. Une fois que mon histoire tient dans une page, avec le dénouement, je développe en séquences, sur une cinquantaine de pages. Et quand tout ça me plait, j’écris le livre en lui-même en essayant de faire 3 pages par jour. Au final il faut donc environ 6 mois. Mais c’est vraiment dans cette phase d’écriture que se passent les choses, qu’il y a vraiment le rythme, les couleurs, la tension. Parfois des personnages apparaissent, ou disparaissent, selon la nécessité de l’histoire. Une fois que c’est fini ce n’est jamais fini : si je ne me retenais pas je passerais ma vie à faire des nouvelles versions et des corrections !