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Jean Christophe Portes
Les enquêtes de Victor Dauterive
«Victor Dauterive, un enquêteur sous la Révolution»

Privilégiés

La société française de 1789 reste organisée selon le modèle féodal. À la tête de l’État se trouve le roi et sa noblesse. Le cœur est le clergé. Les bras, le Tiers État. Mais avec le temps, ces distinctions ont subi des évolutions profondes.

En 1789, la noblesse compte entre 100 et 400 000 membres selon les historiens. Dans ce décompte, la vieille noblesse d’épée est minoritaire : la plupart de ces familles ont été anoblies durant les deux siècles précédents. La distinction entre noblesse de robe (la magistrature), et la noblesse d’épée (la carrière militaire) tend à s’effacer. De manière générale, l’aristocratie tend à se diriger vers la carrière militaire, ce qui est facilité par les guerres incessantes depuis Louis XIV. 

Ce qui ne change rien aux privilèges offerts. Être noble donne un accès aux emplois proches du pouvoir, dans les ministères, dans les emplois de la Couronne, aux grades militaires importants, ainsi qu’aux écoles militaires. Un certain nombre de charges honorifiques leurs sont réservées. Les nobles ont interdiction de se livrer à une activité lucrative, leurs seuls revenus doivent être ceux des seigneuries. Ils perçoivent les « droits seigneuriaux », payent modérément l’impôt royal, mais sont exempts de la « taille », qui pèse le plus lourd. Ils ont une place attribuée à l’église, portent des titres, ont droit aux « honneurs de la cour », c’est-à-dire une présentation au roi. Ils sont éligibles aux décorations royales, l’ordre de Saint-Michel et celui du Saint-Esprit. 

Les gens d’église — 100 et 200 000 personnes — sont divisés comme la noblesse entre haut clergé et bas clergé. Une minorité d’évêques, de cardinaux et d’abbé vit dans le luxe, parfois la luxure. Les communautés religieuses sont en nette perte de vitesse. La plus grande partie des gens d’église vit donc au contact du peuple. Les biens du clergé, accumulés au fil des siècles, sont immenses : bâtiments, terres et forêts,

Au-delà de ces deux castes, une nouvelle forme de privilégiés est peu à peu apparue, qui sera l’une des causes de la Révolution. Depuis Louis XIV, qui se méfiait de la noblesse, la bourgeoisie est  montée en puissance. Les fermiers généraux, qui collectent les impôts, les grands financiers, les premiers industriels, les armateurs qui vivent de la traite de nègres, sont des roturiers. Ils amassent d’immenses fortunes, se font construire des hôtels particuliers, et tiennent dans leur main le trésor royal, à qui ils ont prêté leur argent. Ce mouvement s’est encore accéléré dans les 20 années qui précèdent 1789. Une partie de ces hommes, des nouveaux riches comme l’ont dirait aujourd’hui, refusent de payer un impôt égalitaire que tente d’imposer le roi dans les années 1780… tout comme ils refusent l’existence d’anciens privilèges qu’ils jugent désormais indus.

Ce sont ces privilégiés-là qui emporteront la partie contre les anciens privilégiées, imposant le cadre social de la révolution industrielle qui s’annonce.